La santé psychique des expatriés

Que peut apporter la psychanalyse concernant la question de la santé psychique des expatriés ou aux immigrés francophones ? En quoi elle se démarque des autres approches ou disciplines ?

Pour commencer la psychanalyse n’est pas une approche. La psychanalyse est une pratique, une théorie, une éthique et un discours. Le discours analytique est un lien social. En ce sens elle se différencie des autres thérapies qui ne font pas lien social. Il y a une « alliance thérapeutique » mais ce n’est pas pour autant que cela produit un lien social. Le discours est une notion développée par J. Lacan. Il a pour fonction de régler l’ordre social. Le discours serait ce que S. Freud appel la civilization, la “Kultur”. La subjectivité de l’époque est pris dans le discours capitaliste. C’est un discours qui ne fait pas lien. Ce qu’elle effectue cette époque (ce que bon nombre de philosophes, sociologues, psychanalystes qualifient d'hypermoderne) c’est de couper entre corps et parole. Actuellement nous traversons un malaise dans la civilisation. La pandémie, le COVID, met à mal le lien social. Face au réel du COVID que fait le sujet humain ? Il développe des symptômes. Justement, comme le faisait remarquer Lacan le symptôme « c’est ce que beaucoup de gens ont de plus réel ».  Le discours analytique soit la cure psychanalytique traite le réel. Le réel se définie comme ce qui est impossible à dire, hors représentation, ce qui est innommable. Il faut savoir que lorsque le sujet humain se tait c'est le corps qui se transforme en symptôme (exemple : dépression, anorexie, phobie, addiction etc...).

Quand on reçoit une personne en psychanalyse, que cela soit un enfant, un ado, un adulte, LGBT, non binaire, religieux etc….On reçoit avant tout un sujet. Parler de névrose dans le discours analytique n’a valeur ni d’injure, ni de diagnostic, ni d’étiquette, au sens d’un procédé de classification conduisant à ranger un sujet dans une quelconque catégorie psychopathologie. Le terme de névrose renvoie plutôt à l’une des structures psychiques permettant à un sujet d’advenir et aussi de s’inscrire d’une certaine manière dans son rapport à l’Autre, à soi et au monde.

Pour le dire autrement, la névrose est une construction subjective, façonnant de manière singulière le désir du sujet. Hystérique, obsessionnel etc…n’est pas une maladie, une pathologie mais tout simplement une façon d’être névrosé, une façon d’être humain. L’écrivain Philippe Sollers, disait que l’hystérique (femme ou homme) était une façon d’exprimer sa souffrance.

Ce qui amène les gens en analyse c’est une souffrance, un symptôme (dépression, anorexie, anxiété, phobie, alcool, burn out etc...).  Le verbe souffrir vient du latin sufferre qui veut dire « supporter, endurer » et du préfix sub « sous ». La souffrance voudrait dire que ce que le sujet endure, supporte est la dimension de ce qu’il y a de réel en lui. Le réel c’est ce qui est hors symbolique, ce qui échappe au langage.

Le fait de rentrer en analyse c’est s’installer dans un lien social pour traiter ce réel. La spécificité de la psychanalyse c’est amener le sujet à supporter, voire de considérer que le réel c’est lui. C’est à dire à s’identifier à son symptôme. En psychanalyse le symptôme c’est quelque chose qui se respecte. C’est une création de soi pour traiter l’angoisse. L’angoisse est la première manifestation du désir. Et le symptôme c’est une défense contre le désir et contre l'angoisse. Le symptôme se défend contre le désir en le remplaçant par la jouissance. Cela a donc une fonction, une utilité. Le symptôme est un savoir inconscient. Le sujet de l'inconscient c’est ce qui parle en l’humain. C’est un effet de discours. Le sujet (l'individu) est représenté par un signifiant pour un autre signifiant. Le signifiant en linguistique c'est l'image acoustique, la sonorité du mot, la trace psychique. Les sons qui composent les mots sont plus importants, plus décisifs, plus riches, plus constitutifs que ce que les mots signifient, que le sens dont ils sont conventionnellement porteurs. Pour donner un exemple simple : le cri, le cri du bébé, est représenté par le signifiant "cri" pour la mère. Donc Le cri (le signifiant) représente le sujet (bébé) pour un autre signifiant (la mère).

Alors que le signifié c'est le concept. Le corps est marqué par le signifiant. Le corps c’est ce lieu où « ça » jouit. Donc le symptôme a une structure langagière, dont la parole doit être délivrée. Il s’agit de se laisser enseigner par lui pour ensuite, par l’interprétation, le déchiffrer.  L’interprétation est l’acte de l’analyste qui porte sur les signifiants qui déterminent l’analysant.

La psychanalyse est une pratique, une expérience de la parole. Elle repose sur une règle fondamentale : la libre association. Le sujet est invité à dire tout ce qui lui vient à l’esprit en séance. L’association libre c’est le langage de l’inconscient (qui est structuré comme un langage): « l’inconscient est ce chapitre de mon histoire qui est marqué par un blanc ou occupé par un mensonge : c’est le chapitre censuré. Mais la vérité peut être retrouvée ; le plus souvent déjà elle est écrite ailleurs. A savoir :

- Dans les monuments : et ceci est mon corps, c’est à dire le noyau hystérique de la névrose où le symptôme hystérique montre la structure d’un langage et se déchiffre comme une inscription qui, une fois recueillie, peut sans perte grave être détruite.

- Dans les archives documents aussi : et ce sont les souvenirs de mon enfance, impénétrable aussi bien qu’eux, quand je n’en connais pas la provenance. 

- Dans l’évolution asémantique : et ceci répond au stock et aux acceptions du vocabulaire qui m’est particulier, comme au style de ma vie et à mon caractère. Dans les traditions aussi, voire dans les légendes qui sous une forme héroisée véhiculent mon histoire. » (J. Lacan Ecrits I Seuil)

Des trébuchements de la parole du patient surgissent des manifestations de la vérité qu’il suffit de cueillir, d’accueillir dans l’association libre pour en faire un discours. Avec l’association libre, l’analysant se rends compte qu’il en dit toujours plus que ce qu’il veut dire, ou qu’il dit autre chose, et qu’il y a un écart entre vouloir dire et parler, ce qui signifie qu’il y a toujours une part de non-sens qui accompagne la recherche du sens.

Est ce que la psychanalyse peut s'adapter à l'expatriation ? Le temps en analyse n’est pas le temps de la réalité. L’inconscient est intemporel. Des expatriés sont venus alors qu’ils étaient sur leurs dernières années d’expatriation et me demandaient si c’était possible de faire une tranche d’analyse. Pourquoi l’analyste devrait-il aller à l’encontre du désir d’un sujet ? N’est-ce pas l’éthique du psychanalyste ? De sa fonction de ne pas se poser comme sachant ce qui est bien ou mal, de bon ou mauvais, il ne prescrit pas de moral, puisqu’il est dans une position ne tenant d’aucune religion, d’aucune idéologie. L’analyse n’a pas pour but de normaliser l’analysant au nom d’un idéal. Si des effets thérapeutiques se produisent en analyse (soulagement de la souffrance, apaisement de l'angoisse, diminution du symptôme) c’est le fait de verbaliser sa souffrance. Mais la psychanalyse ne se contente pas de produire des effets thérapeutiques, ce n'est qu'une partie du travail psychanalytique. Elle a une fonction extraordinaire qui est celle de libérer le désir. Ainsi s’opère des modifications sur le sujet (le patient ou l'analysant). Une analyse produit un nouveau sujet, un sujet transformé par ce dispositif. Il s’agit de créer un  nouveau sujet, à savoir de se construire dans et par sa parole.

L’expérience analytique offre à l’analysant les moyens de changer sa position et d’en savoir un bout sur le réel de la jouissance qui se manifeste dans le symptôme. La fin d’une cure n’est pas de produire une norme qui se voudrait la même pour tous, mais bien d’un « savoir-faire » singulier avec la jouissance pour le sujet et qui ne vaut que pour lui.

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