Ce que j’appelle « clinique de l’expatriation » est une déclinaison à la « clinique de l’exil », créé par F. Benslama, O. Douville, R. Stitou. La clinique de l’expatriation propose de mettre l’accent sur certains procédés psychiques qui apparaissent particulièrement à vif lors de l’éloignement du pays d’origine. Expatria signifie « hors de, loin de la patrie », patrie est dérivée de pater, qui signifie "père". Il est intéressant de prendre compte et d'établir un lien entre culture et psychisme.

Les effets du déplacement

L’expatriation est un déplacement non seulement géographique mais aussi psychique. Elle a des incidences  sur l’identité de l’expatrié francophone. C’est souvent dans l’après coup de l’installation dans la société japonaise que ces incidences se révèlent, par la production singulière de symptômes.

En période de migration, le moi de l’expatrié est exposé et confronté à un remaniement de la nouvelle réalité extérieure (ici l’environnement japonais).  Certains conflits non résolu refont facilement surface et acquière le pouvoir de dénouer ce qui existait entre langue, verbe, lieu et corps mettant en difficulté l’expatrié français. Avec l’expatriation, qui implique la sortie « du pays où on est né » psychisme et corps seront souvent sollicités.

La langue du pays d’origine

Le rapport du sujet expatrié à la langue maternelle et à celle de la langue japonaise donnera à voir, en particulier, les effets du déplacement sur sa subjectivité. Nous pouvons voir que durant l’adaptation au Japon le rapport d’aliénation du sujet à l’Autre (la culture) se retrouve réactualisé et exacerbé par l’écart spatiaux-temporel qui s’instaure.

Rechercher un psychologue parlant le français au Japon va permettre au patient de créer un lien avec sa langue. Parler au quotidien le japonais, l’anglais c’est aussi s’exiler de sa langue maternelle. La personne à un sentiment d’isolement, parfois même une perte de repère. Les séances permettent de redécouvrir que « le langage n’est pas seulement communication », mais qu’il établit le rapport à l’altérité, et aux semblables.

La psychothérapie amène progressivement le sujet à un retour de certains signifiants liés à son enfance, et des figures archaïques qui s’y rattachent lorsque le patient tente de s’en extraire par la distance de sa langue maternelle. Ce qui peut se passer dans l’expatriation sur le plan inconscient, c’est la réactualisation de l’aliénation que rencontre le sujet expatrié à l’étranger.

La langue maternelle est ce que Lacan appel lalangue, celle qui « nous affecte d’abord par tout ce qu’elle comporte comme effets qui sont affects ». Ces affects, ces perceptions sensorielles  trouvent leurs places dans le travail thérapeutique que réalisent les sujets expatriés en consultation. C’est le corps parlant qui est touché (somatisation, dépression etc…), parfois même altéré, par ces affects primaires venant de lalangue qui est bousculé par la culture japonaise.

Maternité et expatriation

On constate que lors d’une maternité chez la femme expatrié/immigré au Japon ce sont les signifiants primordiaux et liens de filiation qui sont ravivés. La naissance d’un enfant amène la femme a revisité (inconsciemment) son propre passé, ses relations, son histoire. En effet en devenant mère « une femme est toujours convoquée à repasser par les signifiants de sa propre mère, ou encore à réutiliser pour elle, et pas forcément pour son enfant, les mots et la musique de sa langue maternelle ».

 

Alexis Dazy

Psychologue Tokyo, Japon

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