Nous avons tous malheureusement un jour rencontré dans nos vies des personnalités dites « toxiques » pour rependre un terme que l’on retrouve souvent dans le cabinet du psychanalyste. La philosophe et psychanalyste Clothilde Leguil a écrit un livre remarque sur ce sujet. Quand les gens parlent de « toxique » souvent c’est associé à ce que l’on qualifie en psychopathologie de perversion ou de trouble de la personnalité narcissique. En psychanalyse, on parle de « structure pervers » ou d’une « position subjective » pris dans un discours qui répond à une logique particulière. La perversion est une pathologie psychique et elle recouvre différentes catégories. On retrouve la perversion sexuelle qui vise à détourner le but de la sexualité à des fins de jouissance narcissique. Dans cette catégorie, il y a un déni de l’identité sexuelle en raison d’angoisses archaïques. Ces angoisses sont dites archaïques parce qu’elles se manifestent avant l’installation du langage et quelles sont reliées au corps. Le morcellement, la chut, la dévoration, la liquéfaction en sont des exemples. Puis il y a les perversions narcissiques que l’on doit au psychanalyste P.C Racamier. Cette perversion à le même objectif, mais qui vise l’identité de l’autre. Cette dernière est démentie à travers le déni du désir et de l’altérité. Mais toute perversion est intrinsèquement un trouble du narcissisme. Dans cet article, je n’utiliserai que le terme de perversion en référence à la théorie psychanalytique.

Le mot pervers est souvent utilisé dans le langage courant de manière péjoratif, négatif. Ici, il s’agit de s’intéresser à la perversion et de décrire son fonctionnement, ses mécanismes à partir des apports théoriques de la psychanalyse.

La plupart du temps, il s’agit d’hommes ou de femmes respectables et respectés dans leur vie sociale, professionnelle et familiale. On sait que cette personnalité excelle dans la maitrise des compétences sociales et relationnelles nécessaires pour obtenir le pouvoir. Il dispose d’une qualité remarquable, d’une grande capacité d’observation pour y arriver. La manipulation et l’exploitation des failles ou des vulnérabilités de l’autre lui permet d’accroitre sa domination ou son emprise. Il va instrumentaliser l’autre, notamment les compétences de la personne. L’autre est appréhendé comme objet au service des fonctions dont le sujet pervers craint de manquer. C’est la raison pour laquelle le sujet pervers s’adapte très bien dans notre société moderne. Car la perversion pose la question du lien social qu’elle sous-tend, soit du discours dans lequel elle pourrait s’inscrire et sur la rencontre avec l’Autre.

Le sujet pervers a besoin de l’autre (autrui, semblable) pour exercer d’une part son pouvoir et d’autre part à atteindre la jouissance de l’Autre. L’Autre en tant que concept psychanalytique désigne ici le corps et « il n’y a de jouissance que du corps ». Le pervers c’est celui qui jouit également de défier, utiliser et transgresser la loi à son avantage. Son hyper-adaptation lui permet d’obtenir la sympathie de son entourage et de leurrer sans grande difficulté son monde. Ce qui peut le trahir c’est de vouloir en parler à son entourage, de dévoiler son jeu.

Partons d'une situation à Tokyo : J’ai pris connaissance par mon entourage professionnel, d'une certaine pratique d’un ostéopathe français à Tokyo. On me raconte qu'il propose des « touchers/techniques internes » pour traiter certains troubles ou déséquilibres périnatales/gynécologiques comme les douleurs pelviennes ou symptômes localisés dans la zone du bassin de la femme. Lors de la séance, il fait signer la patiente une décharge de responsabilité et demande qu’il y ait la présence d’un « témoin ». Le témoin en général c’est le compagnon ou le mari. C’est un ostéo qui m’avait déjà tenus des propos par e-mail en me disant : « Pour moi, contourner la loi n'a rien d'un comportement déviant. » ; « Pour moi les lois ne sont que des conseils, des indications, rien de plus ». A l’époque je n’avais pas trop prêté attention à ses dires. Ou encore, qu'il s'était permis de dire à une de mes patientes « un psy et un ostéo, c‘est pareil. Quand ça marche pas, il faut changer ». Le travaille thérapeutique avait durée deux ou trois ans. Il n'avait pas connaissance de la problématique ni des symptômes que présenter la patiente. Ces propos illustrent bien la définition de P. Racamier « le pervers narcissique se fait valoir aux dépens d’un autre ». Mon entourage m'a demandé si sa pratique relever de la perversion.

Si on se réfère à la déontologies des ostéopathes, ils ne peuvent avoir recours qu’à des techniques ou toucher externes. Comme l’indique le décret n°2007-435 du mars 2007 relatif aux actes et aux conditions d’exercice de l’ostéopathie et de l’arrêté du 12 décembre 2014 relatif à la formation en ostéopathie les touchers internes (les touchers pelviens ou vaginal, rectal) sont interdit. Dans ce cas, qu’est ce qui amène l’ostéopathe à utiliser une technique qui n’est pas reconnue ou conforme à la loi ? Dans ce cas, est-ce bien un acte thérapeutique ? Peut on parler d'un acte pervers ou bien d'une pratique pervertie ? Je vais essayer d'expliquer et de décrire en quoi nous sommes dans le champ de la perversion dans une démarche psychanalytique. En psychanalyse, le terme perversion n'est ni une injure, ni un diagnostic, ni une étiquette au sens d'un procédé de classification conduisant a ranger une personne dans une quelconque catégorie psychopathologique. Nous verrons que le terme renvoie plutôt à l'une des structures psychiques (névrose, psychose) permettant à un sujet homme ou femme d'advenir et aussi de s'inscrire dans son rapport à l'Autre, à soi et au monde. Autrement dit, la perversion est une position subjective, façonnant de manière singulière son désir.

L’étymologie de perversion

L’étymologie nous indique que perversion signifie retournement, détournement, renversement, déviation par rapport à la fonction initiale. En effet, Les termes pervers, pervertir, perversité, perversion dérivent de l’adjectif latin perversus et du verbe pervetere, per signifiant par et vertere signifiant tourner, renverser. C’est au IIIe siècle, chez Tertulllien, qu’on retrouve le terme perversion pour désigner toute opération de falsification d’un texte dans la volonté de corrompre les esprits en les détournant du dogme.

Dès lors on peut comprendre ses propos « Pour moi, contourner la loi n'a rien d'un comportement déviant. » ; « Pour moi les lois ne sont que des conseils, des indications, rien de plus ». En effet, selon P. Bruno, « le pervers jouit de défier la Loi ». Par ailleurs, il met son « moi » en avant. Le Moi est une instance psychique, du registre imaginaire, qui se constitue des identifications et du narcissisme. Une des caractéristiques essentielles du Moi c’est que c’est avant tout un Moi-Corps. En effet, le seul accès que nous avons de notre propre corps passe par le Moi. Et c’est le Moi qui doit traiter les dites angoisses archaïques. Il y a donc forcément un aspect de mirage, de leurre, d’illusion du moi. Le narcissisme est fondamental dans la structure du Moi,  c’est-à-dire de l’image du corps. Le sujet pervers présente un « moi idéal mégalomane » ce qui explique qu’il est dépourvu de culpabilité. Donc il va attaquer, disqualifier le moi de la personne au profit de son narcissisme.

Dans la perversion, la parole ne fait pas tierce. Il défie les lois du langage, il peut dire tout et son contraire dans une logique qui lui est propre. Pour I. Morin, le sujet pervers nous enseigne, par son savoir-faire, qu’il y a trois façon pour détourner et se détourner de la réalité : 1) le retourner ou détourner les mots ; 2) falsifier la langue et 3) truquer la logique.  Par son savoir-faire et son discours, il tente de nous faire complice de sa vision du monde. Par exemple, la « falsification de la langue » consiste à détourner les mots d’une langue pour les utiliser dans un autre registre. La langue allemande, par exemple, a été pervertie par les nazis. Falsifier sa pratique et ses interprétations sur le corps de la patiente, c’est se vouloir être maître du corps. Et celui qui se croît maitre se croît tout puissant. C’est « le discours du sujet pervers, sur sa façon d’opérer avec les lois du langage, signant ainsi sa position de sujet dans la structure ». Donc détourner pour faire équivaloir les contraires, falsifier la langue pour manipuler les esprits et enfin truquer la logique pour faire de l’autre le complice de son scénario. Nous verrons que ces trois façons de renverser la réalité s’articulent avec le déni ou démenti.

Quelque part il est enfermé dans le duel, c’est-à-dire dans la relation imaginaire en miroir. D’où le fait de dire « un psy et un ostéo c’est pareil ». On retrouve dans son énoncé que c’est son moi qui s’exprime, toujours en miroir. Tout élément de différence qu’il peut exister entre le sujet pervers et la personne est subverti afin d’accentuer l’effet de domination.

Le sujet pervers pour P.C Racamier est un « calculateur et il prolifère là où il peut exercer du pouvoir ». La perversion va s’exercer quand la personne est vulnérable, fragile pour mieux agir « par intimidation, produisant perplexité, paralysie, dévalorisation, envahissement de l’esprit par de la culpabilité chez ses victimes, qui finissent par accepter tout genre de compromission au détriment de leur estime de soi, à accepter même de démanteler un aspect de leur narcissisme ou de justifier, voire d’exécuter, des actes contraires à leur morale propre ». Ce que l’on peut très retrouver avec le fait de signer une décharge de responsabilité. Avec per (de pervetere), on retourne (de vertere), mais par un moyen qui falsifie, en introduisant le faux, le mensonge. Et nous verrons plus tard, que le sujet pervers déni la différence, notamment la différence des sexes. Il ne reconnait pas l’altérité en autre.

 

Désir, jouissance et Loi

La théorie psychanalytique, s’intéresse à la perversion en tant que position existentiel du sujet pervers au regard du désir, de la jouissance et de La loi. La loi qui porte aussi bien sur les lois des hommes que sur les Lois de la nature. Chez le sujet pervers, « le désir se présente comme volonté de jouissance ». Il « se donne pour ce qui fait loi, c’est à dire pour une subversion de la loi ». Il revendique le droit de jouir du corps de l’autre, appréhendé comme objet et non comme sujet, se trouvant ainsi dans la logique de l’abus. Le sujet pervers est en effet « celui qui s’autorise à aller voir là où c’est interdit, qui procède par effraction et qui creuse des brèches dans les systèmes murés ». Dans notre exemple, il s’agit d’un abus d’une position d’autorité professionnelle qui lui sert d’emprise sur la patiente. L’emprise a pour fonction de désubjectiver le patient pour le réduire en objet. Cette manière d’être et de fonctionner, cet impératif de jouissance est très bien illustré dans la maxime du Marquis de Sade : « j’ai le droit de jouir de ton corps, peut me dire quiconque, et ce droit, je l’exercerai, sans qu’aucune limite m’arrête dans le caprice des exactions que j’aie le goût d’y assouvir ». Son désir se transforme en droit. Ce que vise ici l’ostéopathe avec sa pratique c’est la jouissance de l’Autre. Il y a perversion quand il y a passage à l’acte dans un défi de loi, d’interdit. Ce que le névrosé refoule le pervers le met en acte. Le psychanalyste P. Julien fait la remarque que « l’acte de pervertere, nous dit la racine latine, c’est de ‘’détourner’’ le bien en mal. » Ce qui était bon se ‘’ divertit’’ et se renverse en son contraire ; c’est ainsi que l’on parlera d’effets pervers ».

Pour cela, le sujet pervers va mettre en place un dispositif, une stratégie, un scénario pour assouvir sa jouissance. Cela commence avec la « signature de la décharge de responsabilité ». C’est là que commence la manipulation perverse, puisqu’en signant la patiente est objet de la manipulation. Autrement dit, il y a un retournement, renversement du désir en droit pour jouir du corps de la patiente. La jouissance est un concept central en psychanalyse. Ce concept est au croisement du juridique et de l’intime. La jouissance s’oppose au principe de plaisir. Le verbe « jouir » issu du latin guadere, veut dire « se réjouir ». Ce terme de jouissance apparait au 15e siècle pour désigner l’action de disposer d’un bien. Il est lié à l’usufruit, le droit de jouissance d’un bien appartenant alors à une personne autre que le nu-propriétaire. Là dans notre exemple cité, le sujet pervers possède le corps de la patiente. Donc jouissance, possession et droit se conjuguent ici. Il « se défausse sur l’autre, car lui s’accommode de cette falsification ». Le scénario chez les sujet pervers est reconstruits de telle façon qu’ils apparaissent en victime innocent.

L’attestation de décharge de responsabilité n’a aucune valeur ni légale ni juridique. L’attestation lui permet de se déresponsabiliser de son acte thérapeutique. Si ont fait signer une décharge de responsabilité n’est-ce pas là un démenti de son acte thérapeutique ? Et qu’il n’est pas sûr de ses effets thérapeutiques ? N’est-ce pas un « acte pervertere », détourné, de faire signer une décharge de responsabilité afin de se protéger d’une plainte ? Quelles serait les conséquences psychiques sur une patiente qui aurait subi des attouchements ou une agression sexuelle dans son enfance ou adolescence ? L’acte thérapeutique peut raviver un traumatisme refoulé. Des symptômes peuvent se développer des semaines, voire des mois ou années après la séance. Mais là aussi il y aurait renversement des positions : c’est le sujet pervers qui se placerait en position de victime.

La structure perverse pose, en permanence, la question de la limite et de l’impossible. La perversion, avance sous le masque de la séduction et du semblant, dans le défi et la transgression. Cela produit un sentiment de confusion chez la victime, le jugement est altéré. Le patient se retrouve assujetti, ligoté par un contrat qu’il soit tacite ou écrit.

 

La question du consentement

La décharge de responsabilité pose la question du consentement. La patiente a-t-elle été réellement consentante ou bien peut-on parler de « forçage du consentement » ? Comme l'a développé dans son livre C. Leguil, « céder n’est pas consentir ». L’auteur introduit une dimension de « se laisser faire » qui marque la frontière entre « céder » et « consentir ». Elle décrit trois positions de « se laisser faire » :

Un 1er « se laisser faire » qui est une ouverture à l’autre qui s’accord avec le choix du sujet (ce que l’on retrouve dans la passion amoureuse)

Un 2e « se laisser faire » qui provient d’une question du sujet, pour interroger le désir de l’autre.

Et enfin un 3e « se laisser faire », qui vient contredire le désir du sujet.

C’est dans cette troisième position subjective, « que le ‘’céder ‘’ n’est pas un « consentir » nous conduit : là où le corps cède à quelque chose, alors que le sujet ne dit plus mot ». L’angoisse peut apparaitre bien après et se transforme en symptôme. C’est le corps qui a subi quelque chose que la personne n’a pas compris. « Le céder est une réponse du corps là où il y a une non-réponse du sujet, une impossibilité pour le sujet de dire quoi que ce soit. » Le « céder » est en lien avec la décharge de responsabilité. Le patient cède à la situation thérapeutique. Pour reprendre la morale sadienne : c’est celle qui fait valoir un « droit de jouir d’autrui » quel que soit son consentement et même sans son consentement. « C’est de forcer le consentement que le personnage sadien tire sa jouissance ». Prendre le corps de la patiente comme objet c’est satisfaire une pulsion. Le droit à la jouissance chez le pervers ne rencontre aucune limite, n’admet aucune barrière, récuse tout point d’arrêt. Et même que la jouissance sera d’autant plus intense que l’autre en sera victime. Il y a soumission de la patiente au praticien de son savoir ou technique thérapeutique. Celui qui se trouve dans une structure psychique dite « perverse » crée à son tour « sa propre loi pour communiquer avec les autres et l’utilise pour organiser sa jouissance ».

L’attestation de décharge de responsabilité comme dispositif ?

Pour jouir de son pouvoir et organiser sa jouissance, le sujet pervers a besoin de mettre en place un dispositif. Le concept de dispositif est à entendre ici au sens de M. Foucault et des apports développé par G. Agamben. Pour M. Foucault, le dispositif relève d’une fonction essentiellement stratégique afin de recueillir des interventions dans les jeux de pouvoir, par des productions de savoir et une organisation tactique de relations sociales : Le dispositif donc est toujours inscrit dans un jeu de pouvoir, mais toujours lié aussi à une ou à des bornes de savoir, qui en naissent, mais, tout autant, le conditionnent ».

Dans son ouvrage « qu’est-ce qu’un dispositif » G. Agemben retrace l’origine du mot dispositif et indique, que selon lui, le dispositif permet la réalisation d’une activité de gouvernance et « j’appelle dispositif tout ce qui a, d’une manière ou d’une autre, la capacité de capturer, d’orienter, de déterminer, d’intercepter, de modeler, de contrôler et d’assurer les gestes, les conduites, les opinions et les discours des êtres vivants ». Son dispositif ne se réduit pas à une attestation mais s’étends à son cabinet. Le fonctionnement d’un cabinet ou d’une entreprise (management) ou d’un dispositif reflète souvent le fonctionnement psychique de la personne.

Comme l’écrit G. Agamben « le dispositif est donc, avant tout, une machine qui produit des subjectivations et c’est par quoi il est aussi une machine de gouvernement » (2007, p. 42). Pour G. Agamben les dispositifs de notre époque répondent à une idéologie de désubjectivation. Dans son livre, le philosophe en donne des exemples comme le Smartphone, la télé voir même le stylo. La décharge de responsabilité est bien un dispositif qui désubjective.

Les objets du désir dans la perversion.

La psychanalyse a repéré deux objets du désir qui s’organisent dans la perversion : l’objet voix et l’objet regard. Ce qui est prédominant dans le masochisme et le sadisme, c’est la voix comme objet pulsionnel. Avec la voix il s’agit de compléter l’Autre ; tandis que dans l’exhibitionnisme et le voyeurisme, cela se fait par l’objet regard. Dans notre exemple, le témoin durant la consultation, est convoqué comme « regard complice d’un scénario où la jouissance est impérative et sans limites ». Le contrat fixe les rôles une fois pour toutes et assujetti les intéressés. Le scénario et les conditions de sa réalisation vont conditionner la réalisation de l’acte. Autrement dit, le scénario va lui permettre de réaliser en acte son fantasme.

Logique du fantasme dans la perversion.

La notion de fantasme occupe une place important dans la théorie et la pratique psychanalytique. Chez le sujet névrosé (donc non pervers), le fantasme s’écrit : $a. il se lit : le sujet inférieur (<) ou supérieur (>) à l’objet cause du désir (a). Le S barré signifie que tout être humain est aliéné au langage. Cette aliénation se redouble d’un autre processus langagier qui est la séparation. Ces deux processus privent l’être humain (le sujet) d’une partie de son être de jouissance. La lettre a, c’est l’objet cause du désir. Le fantasme à cette fonction de support du désir. Et enfin le poinçon ◇, rend compte des relations que le sujet peut entretenir avec ce « point de jouissance ».

Dans le fantasme pervers la position du sujet est tout autre. Il y a un renversement de l’écriture du fantasme précédent, soit a$. Dans notre exemple, l’ostéopathe va occuper une position d’objet (le a dans le fantasme pervers) qui s’exprime dans l’exhibitionnisme. Dans la mise en scène de sa perversion, le sujet exhibitionniste est dans un « donner à voir », il se propose comme objet, cette fois soumis au regard de l’autre. Dans le masochisme, le sujet est plutôt  soumis à la « voix de l’autre puisqu’il se donne objet à battre, à humilier… ».

Ces objets du désir, la voix et le regard, « tels des fétiches, viennent ici comme remparts pour protéger le sujet de l’horreur de la castration féminine ».

On voit bien, que dans le fantasme, le sujet pervers se fait l’instrument de la jouissance de l’Autre. Il se fantasme comme capable de compléter l’Autre, d’être l’objet qui le rend complet. Il suppose un Autre complet, sans manque, qui lui permet de se sentir lui-même complet et sans manque. Cela lui donne l’illusion de pouvoir transcender un manque fondamental, en étant l’objet capable de satisfaire entièrement l’Autre, de le compléter totalement, de lui donner la jouissance perdue, et ainsi de ne pas être lui-même soumis à la perte de la séparation (le démenti de la castration).

Le sujet pervers jouit du pouvoir qu’il peut exercer sur la patiente comme objet, ne la reconnaissant pas comme sujet. Mais si on se place du côté de la patiente, c’est être l’objet du désir (à son insu) du sujet pervers et cela conduit à l’angoisse d’être joui par lui. Dans l’exhibitionnisme, le donner à voir, « suppose un espace, un lieu public, pour une pratique à risques, et fonctionne comme fascinum, attrape-regard ». C’est là où le sujet pervers excelle dans son scénario :: durant la séance, il va reconstituer ou plutôt falsifier un lieu privé - son cabinet - en un lieu public par le seul fait de la présence du compagnon/mari en position de témoin. C’est aussi le regard qui est en jeu pour le voyeur (le témoin) mais comme objet. L’exhibitionniste vise « ce qui se réalise dans l’autre, l’autre en tant que forcé, au-delà de son implication dans la scène ». Ce qu’il vise c’est l’angoisse de la patiente qu’elle éprouve dans son corps. Cela se manifeste par de la honte. Dans son article, E. Le Rohellec, souligne que « l’important n’est ni de voir ni de montrer, l’essentiel est le trouble, le malaise, la honte provoquée chez la victime ». Le pervers se sert du corps pour diviser jusqu’à la jouissance. Jouissance qui s’éprouve par l’angoisse. Ainsi, « le pervers atteint et révèle l’intime du sujet (patient) grâce à la position d’objet à laquelle il est identifié ». Pour cela « le corps sera ce par quoi le sujet pervers servira la jouissance de l’Autre ».

 

La structure perverse repose sur le déni ou démenti

Ce qui détermine la structure perverse c’est le déni et aussi le démenti. C’est un processus psychique associant un savoir et une croyance, apparemment en contradiction l’un avec l’autre, mais cohabitant chez la même personne. C’est « un mécanisme de défense consistant en un refus par le sujet de reconnaitre la réalité d’une perception traumatisante, essentiellement celle de la différence des sexes ». Le déni dans la perversion porte donc sur la castration (lois des hommes et Lois de la nature). En somme, il ne veut pas savoir que le sexe est aussi une affaire de nature. Autrement dit, il y a une double position à la fois, par exemple : reconnaissance que la mère n’a pas le phallus, et négation (ou démenti) de cette reconnaissance. Dans la perversion toute les femmes on le phallus. C’est le démenti de la castration qui amène le sujet pervers à supposer une jouissance possible.

 Dans la théorie psychanalytique, le phallus n’est pas le pénis. C’est un concept, qui a valeur de signifiant (au sens linguistique). Par exemple, l’enfant occupe dans le psychisme de la mère une place importante. Quand vous écoutez une mère, vous vous rendez compte que son enfant à une valeur très singulière. L’enfant est supposé apporter à la mère tout ce qui lui manque, c’est à dire la combler totalement. Cet objet censé combler la mère a pour nom « phallus », un phallus que l’enfant croit être pour sa mère. De façon plus générale, « phallus » définit ce qui oriente le désir et qui se trouve représenté chaque fois qu’un objet supporte une valeur de désir, bijoux, œuvre et plus largement, tous les objets chargés de valeur phallique dans le social : gadgets sophistiqués, vêtements à la mode, voiture, le statut professionnel etc… l’avoir ou l’Etre soi-même sont les deux modes de rapport du sujet au phallus. L’avoir comme un trésor, c’est par exemple avoir une montre mythique pour être comblé ou bien l’Etre pour combler l’Autre. Le phallus est le signifiant du désir. Dans notre exemple, la mère va se satisfaire de l’enfant en tant que représentant du phallus désiré. L’enfant va vouloir incarner cet objet qui viendrait combler la mère. Se faire « objet » signifie que l’enfant obéit à toutes les demandes de sa mère, par exemple, se laisser nourrir, lui sourire et, plus tard, aller sur le pot et lui donner l’excrément qu’elle attend.

Reprenons sur la perversion. Le sujet répudie, désavoue, dénie l’absence de pénis chez la fille, la femme, la mère. L’angoisse de castration perçue est déniée et le moi se clive. Une partie du moi refuse la réalité, alors qu’une autre partie doit la reconnaitre. C’est une mère phallique qui est idéalisée dans la perversion (car complète et puissante). Et les patientes qui consultent sont des femmes devenues mères.

C’est O. Mannoni qui a proposé une formule pour rendre compte du déni/démenti : « je sais bien…mais quand même ». Donc ce qui est répudié d’abord, c’est le démenti qu’une réalité inflige à une croyance (je sais bien que je ne peux pas continuer à croire que la femme possède un phallus, puisque je vois que ce n’est pas vrai…) ; mais cette croyance ne peut pourtant pas être abandonnée (…mais quand même, je ne peux pas renoncer à ma croyance sans perdre l’appui que je me suis ainsi constitué), elle doit donc se maintenir, et pour cela elle doit subir une modification. Le « mais quand même » signifie que, quoi qu’il en soit du réel de son sexe, je peux décider ce que je veux.

Conclusion

En conclusion, la perversion est une structure psychique qui défie la loi, enfreint celle-ci tout en sachant ce qu’elle est, se débarrassant de toute altérité, se supportant de l’idéal d’un objet et donc instrumentant l’autre, et ne visant que la jouissance, cela sans culpabilité. La perversion se repère dans son rapport au langage, au mode de jouir et à son scénario. Il semblerait que notre époque hyper-moderne favorise cette structure psychique ou position subjective. S'ouvre alors la question - que j'aborderai dans un autre article - de la perversion et du lien social qu'elle sous-tend, et donc, du discours dans lequel elle pourrait s’inscrire.

 

 

Référence bibliographique pour la rédaction de l’article :

G. Agamben, Qu’est-ce qu’un dispositif ? Edition Payot.

S. Freud, Névrose, psychose et perversion. Edition Puf.

S. Freud, « Le fétichisme ». La vie sexuelle. Edition Puf.

S. Freud, « Quelques conséquences psychiques de la différence anatomique entre les sexes », la vie sexuelle. Edition Puf.

D. Sibony, Perversion. Edition Point

S. Jodeau-Belle et L. Ottavi, la logique du fantasme dans la perversion. Edition Pur

C. Leguil, Céder n’est pas consentir. Edition Puf

J. Lacan, Kant avec Sade, Ecrits. Edition Point

J. Lacan, Séminaire XVI, d’un autre à l’Autre. Edition Seuil.

P.C, Racamier, Les perversion narcissiques. Edition Payot

M. Benyamin, La perversion narcissique. Edition in press

I. Morin, article « la perversion de la loi I ». Dans Psychanalyse 2014/1 n°29. Edition Eres

I. Morin, article « la perversion de la loi, II ». Dans Psychanalyse 2014/3 n°31. Edition Eres

P. Bruno, « la démission perverse ». Dans psychanalyse 2006/2 N°6. Edition Eres

O. Mannoni, « Je sais bien, mais quand même », in Clefs pour l’imaginaire. Edition Seuil

P. Julien, Psychose, perversion, névrose. Edition Eres

J. Laplanche et J.B Pontalis, Vocabulaire de la psychanalyse. Edition Puf

M. Foucault, Dits et écrits, III. Edition Seuil

Aller au haut